René Burri n’a pas vingt ans lorsque, dans l’immédiat après-guerre, il gagne l’Allemagne à vélo pour réaliser ses premières photos à Munich et Ulm, deux villes profondément marquées par les stigmates du conflit. À l’origine de cette attirance, il y a l’histoire familiale du photographe — un père suisse et une mère allemande — mais aussi l’envie de mettre à l’épreuve le scepticisme qu’on nourrit alors généralement à l’égard de tout ce qui vient de l’Allemagne. Dans les années 50 mûrit peu à peu le projet de concevoir un ouvrage d’envergure, qui sera finalement publié en 1963 sous le titre Les Allemands. Ainsi, sur plusieurs années, menant une enquête très systématique, Burri réalise une remarquable radiographie de cette Allemagne qui, pour la plupart de ses voisins, demeure une énigme. Il photographie l’Ouest et l’Est (le mur de Berlin n’a pas encore été édifié), la ville et la campagne, le passé et le présent, le travail et les loisirs, la société d’en haut et d’en bas, l’amour et la mort.
Une certaine réserve et en même temps de la curiosité, telles sont les attitudes ambivalentes qui sous-tendent l’enquête du pho-tographe ; ce sont elles aussi qui donneront au portrait qu’il dresse de l’Allemagne cette tonalité générale qui frappe par son absence de cynisme et d’hostilité.
À travers ses images, Burri raconte, mais sans jamais verser dans l’anecdote. Ses photographies mettent en oeuvre un langage pictural tout à fait révolutionnaire pour l’époque : une construction complexe, des angles de vue travaillés, une composition toujours en profondeur faisant écho à la profondeur historique qu’il s’agit de révéler. Par son art, il ouvrira la voie à la photographie d’auteur qui, de nos jours, paraît une évidence.