Loader - Nuit de la Photo
Isadora Romero

Pierre Bohrer

Suisse , 1951

Sortir du bois, de la pancarte à la croix

« J’avais au départ l’envie de vous présenter quelques images sur le mode décalé, signalétique détournée, situations en porte-à-faux, l’oeil du photographe se délecte des incongruités du réel…
Tout aussitôt, une réflexion me vient à l’esprit, ne serait-ce pas ainsi céder trop docilement à la tentation de l’insolite ?
Quel mot atroce pour exprimer les failles d’un quotidien rôdé comme du papier sans musique !
En parcourant en diagonale mes archives sur une petite décennie, il m’apparaît que mon activité photographique, en matière de reportage, est jalonnée de manifestations de tous ordres… Manifs anti-OMC, anti-G8, anti-UDC, Urgence Palestine (…) ainsi que de grands rassemblements, tels la Street Parade, la Gay pride (…) ou dans un autre registre le Jour du Christ à Bâle ou la visite du pape à Berne…
Ainsi soit-il.

Attractivité de la foule, la table est dressée, l’objectif en devient le convive privilégié, diaphragme en poupe.
Plonger du regard, s’immerger dans un univers autre, sans nécessairement d’ailleurs en épouser les causes, jouer au petit curieux de son troisième oeil insatiable, peut-être simplement aussi changer d’aquarium, de bulle en bulle…
Combler encore les inévitables frustrations photographiques, celles par exemple, imposées dans l’exercice de son métier, d’être limité dans la publication des images, un texte = une photo, rarement deux, exceptionnellement trois, quasi jamais plus.
Se donner plus d’espace, d’amplitude. Seul, se confronter aux êtres multiples, se frayer un chemin parsemé de déclics, illusoire fra-ternité, humanités en déroute…
Le mot et l’image en écho. Des pancartes investies de slogans pertinents ou non, des voix qui s’élèvent en vagues scandées… La photographie est taiseuse et c’est heureux, on reprend son souffle au creux d’un rectangle aux confins bien définis, j’aime le rapport deux à trois.

Mais au final, toutes ces revendications, toutes ces espérances exprimées, ces mondes désirés meilleurs, entrevus mais si lointains, ne finissent-ils pas en probables désillusions, en accommodements réducteurs face à une réalité qui se complaît, à longueur de journée, dans le rôle d’un rouleau compresseur ?
C’est ainsi que va la vie, tra la la, de tout temps, l’obturateur de la boîte à images n’y peut rien, il faut en sourire.
Et comme par hasard, on en revient à l’insolite des situations. Ainsi, une photographie m’interpelle, la lumière frappant l’attelage d’un chariot dressé projette au mur l’ombre d’une croix. Des croix, il y en a aussi beaucoup dans le tréfonds de mes disques durs ou les méandres de mes négatifs. Mais c’est un autre sujet…
Restons dans la cible. »
Pierre Bohrer

CIFOM


Édition : 2013
Bohrer Pierre - Sortir du bois, de la pancarte à la croix
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